C’est une erreur de penser que la Grèce peut réussir seule
Romano Prodi : « Un signe de l’identité méditerranéenne de l’Europe »
Sophie Esposito entretien avec Romano Prodi sur La Croix de mai 20, 2012
« Une sortie de la Grèce de l’euro serait une erreur gravissime, avec de lourdes conséquences pour l’identité éthique et politique de l’Europe. La Grèce est un pays très important symboliquement mais aussi géographiquement.
C’est le signe que l’Europe garde une identité méditerranéenne après l’élargissement vers l’est. Il est important que toutes les identités soient maintenues dans le continent, car si elles s’affaiblissent, l’âme européenne n’existe plus.
L’Europe apparaîtrait comme une Union qui ne sait pas intervenir aux côtés d’un pays dans un moment de difficulté et qui, au lieu de s’unir, se divise. Ce serait un manquement aux principes de solidarité qui en sont la base.
Nous avons travaillé beaucoup pour bâtir l’Europe, nous avons rêvé de cette Union… et maintenant, pour deux sous, nous sommes en train de la laisser s’écrouler !
Certes, la Grèce est une toute petite partie de l’Union, puisqu’elle représente entre 2,8 et 3 % du PIB de la zone euro. L’Europe pourrait théoriquement poursuivre son chemin sans elle.
Mais dans les faits, la spéculation n’épargnerait pas les autres pays, il y aurait une sorte d’“effet domino”. Ainsi, le coût d’une sortie serait plus élevé pour les autres pays européens qu’une opération collective de soutien.
« C’est une erreur de penser que la Grèce peut réussir seule »
Car il faut l’avouer : c’est une erreur de penser que la Grèce peut réussir seule. Les grands pays de l’Union doivent prendre la Grèce sous leur aile protectrice et lui assurer de l’aide pour la reprise.
Bien sûr, ils sont fondés à exiger qu’Athènes poursuive sa politique de rigueur, puisqu’elle a faussé ses comptes. Mais ce ne devrait pas être la seule solution à la crise : la Grèce à déjà vu son PNB baisser de 20 %.
En réalité, les électeurs grecs se rebellent non pas contre l’euro mais contre une rigueur qui ne laisse pas apercevoir de lumière à la fin du tunnel. La rigueur doit être finalisée à la reprise économique. S’il n’y aucune aide en complément, il n’y aura pas de reprise. Et sans reprise, la rigueur n’a pas de sens.
La France, l’Allemagne, l’Italie doivent aider la Grèce, surtout parce qu’elles détiennent une part de responsabilité dans la situation actuelle. Elles n’ont pas accepté, en 2003, qu’il y ait une supervision des comptes publics nationaux.
Ce qui explique qu’Athènes ait pu cacher son déficit… J’étais à cette époque président de la Commission européenne, je me suis battu pour cela, hélas sans succès.
L’Europe se trouve aujourd’hui dans une situation risquée où le démantèlement ordonné est envisagé par certains. Mais ils se trompent ! Personne n’y a intérêt. Une sortie de la Grèce provoquerait la sortie de bien d’autres pays européens. Et un “euro allemand” atteindrait des valeurs tellement élevées que l’économie allemande en sortirait endommagée. »